Drôle d'année que l'année 2020... Pour la première fois depuis 1968, l'organisation du baccalauréat va être drastiquement revue pour que plus d'un million de premières et de terminales puissent prétendre à l'obtention du diplôme symbolique du passage à l'enseignement supérieur. Qu'est-ce qui a poussé l'Éducation Nationale aux mesures prises et annoncées vendredi 3 avril ? Que va-t-il se passer lors du retour éventuel en classe ? Faisons ici le point.
Avant même que les mesures ne soient annoncées par Jean Michel Blanquer, on pouvait se douter que la deuxième série d'Épreuves Communes du Contrôle Continu, nouveauté de la réforme et prévue pour le troisième trimestre de première, serait touchée par les mesures de lutte contre l'épidémie de Covid. Mais on ne savait pas encore si elle serait reportée à l'année de terminale ou tout simplement annulée ; On sait désormais que les "E3C-2" n'auront pas lieu du tout. Les élèves seront évalués sur des coefficients plus élevés en LVA, en LVB, et en histoire-géographie, trois matières qu'ils ne passent plus que deux fois au lieu de trois initialement. L'Enseignement Scientifique, évalué une fois en première et une fois en terminale, sera évalué pour l'année scolaire actuelle sur la moyenne annuelle du contrôle continu (bulletin). Le même principe s'appliquera pour la spécialité abandonnée en première et à la note à l'écrit de français, de quoi poser question : ces trois notes comptent pour 12,5% du bac, et la décision de s'appuyer sur les notes obtenues toute l'année pourrait favoriser des classes ou des établissements plus indulgents, voire dans l'absolu favoriser la triche et l'indulgence extrême de professeurs soucieux de donner la meilleure note au bac à leurs élèves. Mais au fond, ces aménagements n'impacteront que très peu le nouveau bac, celui-ci étant déjà basé à 40% sur le contrôle continu. À l'issue de l'année scolaire, les futurs terminales auront par ailleurs déjà passé 30% des épreuves (hors candidats libres).
Les mesures prises ont bien plus impacté les élèves de terminale ; L'intégralité des matières évaluées (hors épreuves déjà passées) passe au contrôle continu. Ce sont près de 90% des épreuves qui deviennent dépendantes des bulletins scolaires. Paradoxalement, les derniers bacheliers des séries seront évalués bien plus (deux fois plus) localement que les bacheliers de la réforme ne le seront avec l'importance que prendra le contrôle continu dans l'examen national. Mais les mêmes enjeux qu'en première se posent davantage encore : comment éviter les abus de certains établissements si l'évaluation se fait directement par les enseignants, sans aucun anonymat ? Pour compenser le problème, Jean Michel Blanquer a assuré que le rôle des commissions d'harmonisation pré-existantes sera essentiel, et passera cette année par une revue au cas par cas des dossiers pour valoriser les élèves assidus ou peu favorisés par rapport à d'autres. Sera-ce suffisant ? Beaucoup en doutent, mais la solution mixte d'un passage d'une partie des épreuves posait d'apparence bien plus de problèmes, et l'insûreté sur le délai avant le déconfinement a vite éloigné cette perspective. Si certains sont déçus de ne pas pouvoir passer le rituel habituel et presque sacré en France des épreuves terminales, beaucoup d'élèves ne cachent pas leur joie. Cependant, le ministre de l'Éducation Nationale a rappellé aux nombreux qui se croyaient déjà sortis du lycée que travailler assidûment jusqu'au 4 juillet sera "une condition sine qua none à l'obtention du bac". Il s'applique à réaffirmer que le caractère mondial du confinement ne dévalorisera pas le baccalauréat 2020 par rapport aux autres examens de fin de cycle dans le monde. Il insiste enfin sur la conservation d'un point d'égalité selon lui essentiel entre les candidats : les notes obtenues pendant la période de confinement ne seront pas comptabilisées. Cela vaudra aussi pour les élèves de première et de troisième.
Concernant les terminales en filière professionnelle (BEP, CAP, bac pro), les épreuves seront validées sur la base du CCF (contrôle continu en cours de formation) déjà passé et des notes obtenues le long de l'année (hors confinement également). Les élèves de BTS devraient être évalués de la même manière.
"L'hypothèse d'un retour en classe le 4 Mai reste envisagée", mais sera-t-on vraiment sortis du confinement d'ici-là ? Dans tous les cas, comment envisager le retour de 12 millions d'élèves à l'école, après plus d'un mois de cours à distance ?
Déjà, il faudra s'armer de patience pour ceux qui auront le mieux suivi les cours à distance : on estime que 5 à 10% d'élèves auraient "perdu le fil" depuis le début du confinement. Les professeurs de chaque matière veilleront ainsi à ramener la classe à un niveau homogène dans les premières semaines du déconfinement.
Même si tout le monde rêve de pouvoir retrouver ses camarades dans la joie et les embrassades, ça sera très probablement différent ; le déconfinement sera progressif, peut-être régional (dans ce cas-là, un million de franciliens partis en province risqueraient de rester bloqués plus longtemps), et les gestes barrières seront à appliquer pendant encore longtemps, ci ce n'est jusqu'à ce que l'épidémie soit pour de bon endiguée.
Psychologiquement, la période post-confinement sera inédite, car tout autant qu'on n'avait jamais confiné autant de monde, on n'avait jamais libéré autant de monde du confinement. Mais après tout, cette crise ne va-t-elle pas tout simplement nous montrer que, malgré les moyens de communications les plus développés qui existent, les interactions de la vie réelle sont irremplaçables ?
Ce bac restera dans l'histoire : ni la révolte populaire de Mai 1968, ni l'occupation nazie de 1940 à 1945 n'auront annulé le passage de toutes les épreuves terminales. C'est bien une première, pour nos terminales...