En plein coeur de la lutte contre l'épidémie de Covid 19 et ses dangers mortels, les pays du monde entier font le dangereux pari de l'après : encore incertains de la suite à moyen terme, les gouvernements semblent jouer à l'aveugle au nom du redressement économique le plus rapide possible.
L'urgence, pour certains, elle est là ; La crise sanitaire nous amène à une crise économique sans précédent, si ce n'est au delà de la Grande Dépression de 1929. Chaque jour du confinement côute des milliards de dollars aux États déployant des soutiens financiers à une grande partie de la population contrainte au chômage partiel, si dans certains pays elle n'a pas déjà été atteinte par une vague de licenciements.
Dans un monde de plus en plus actif, tout le monde comprendra la corrélation entre inertie de la population et pertes économiques. Mais cela nous amène aussi à remettre en question notre place dans un système mondialisé dont nous devenons mortellement dépendants : la capitalisation et la liberté économique que nous nous sommes données ne nous ont-elles pas rendus victimes d'une machine que nous n'arrivons plus à arrêter ?
Si les gouvernements sont maintenant nombreux à appeler à une réimagination de notre mode de vie - "l'après" - aucun ne veut en arriver à l'effondrement désastreux de celui que nous connaissons. Certains par philantropie, mais d'autres par intérêt économique. Notre monde est polarisé, et ses pôles qui concentrent les pouvoirs sont certainement les bénéficiaires les plus évidents du capitalisme. Il est donc prévisible de voir des voix s'élever pour la reconstruction à l'identique d'un système dont on a vu pourtant vu les limites au fil des décennies, des siècles.
Pour éviter coûte que côute toutes les conséquences que causerait l'effondrement total de notre socle actuel, tous les pays du monde font front commun. Les membres du G20 ont ainsi décidé de suspendre pendant au moins un an les dettes des cent pays les moins développés. Dans la même optique, l'Allemagne a fait un premier pas vers les pays de l'Union Européenne les plus touchés, qui demandent une dette commune aux pays membres pour éviter la chute des plus en difficulté : l'Europe joue ici sa solidarité, peut-être fait-elle même face à son plus grand défi depuis le Traité de Rome de 1957.
Au plus fort du combat contre un ennemi invisible et sans couleur, il n'est pas pardoxal de se pencher sur "l'après". En plein milieu de la tempête Covid, les milliards de personnes confinées avaient bien besoin de se projeter plus loin qu'au lendemain. Pour unir les peuples dans ce combat, les chefs d'État ont invoqué une arme humaine et intemporelle : l'espoir.
Au delà de l'aspect économique, pourquoi le déconfinement est-il si crucial ? Pourquoi, parmi tant d'autres mesures, celle de faire revenir douze millions d'enfants aux portes des écoles à la mi mai ? Bien sûr, les raisons sont indirectement correlées - une fois de plus - à un objectif de relance de la productivité nationale : si les élèves vont de nouveau travailler, plus personne ne devra veiller sur eux à la maison, et donc prendre congé... Mais cette mesure a bien un revers psychologique, une ambition humaine. Si laisser la population sortir sans rouvrir les écoles représentait déjà le risque de laisser se regrouper des jeunes pendant le temps scolaire (qui dès lors devenait une notion bien lointaine...), cela signifiait aussi créer un impact plus durable encore pour bon nombre d'élèves, dont aucun ne dispose chez lui du même environnement de travail lui permettant la même qualité d'enseignement. Ne pas reprendre l'école, c'était accroître les inégalités au sein des foyers, et c'était aussi ignorer les dommages collatéraux du confinement ; Les violences intra-familiales ont augmenté depuis le 17 mars, et l'angoisse de l'enfermement touche bien des hommes et des femmes, qui n'ont pas forcément un jardin, un balcon, une maison...
Certaines personnes sont plus touchées que d'autres, plus angoissées par le changement et l'inconnu. Le 2 avril, à l'occasion de la journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme, Emmanuel Macron a accordé une dérogation "aux personnes qui vivent avec l'autisme", qui bénéficient depuis de la clémence des autorités vis-à-vis de leurs sorties et déplacements.
Enfin, donner une date de sortie du confinement, c'est donner un cap aux français, et pour tenter cela, le Président de la République n'a pas hésité à endosser le costume de guide, que ce soit le 12 mars ou le 13 avril dernier. Être à peu de choses près le seul décisionnaire de l'avenir d'un peuple donne un pouvoir politique important à l'État dans ces circonstances, et donner l'espoir est essentiel pour ne pas diviser dans une période où la solidarité a un rôle central ; Plus que ça, le Gouvernement y voit aujourd'hui une occasion d'unir la Nation française. Politiquement, fixer un cap incertain, c'est une opportunité pour rassurer l'opinion... ou l'inquiéter... un pari peut-être victorieux mais potentiellement désastreux, un "ça passe ou ça casse" politique finalement.
Bien que le changement sera important au 11 mai (si tout va bien...), il n'en reste pas moins que le vrai retour à la normale ne sera pas pour tout de suite, pour ne pas dire pour dans très longtemps, comme l'a rappelé Édouard Philippe le 19 avril lors d'un point presse sur les grandes lignes du plan de déconfinement.
Pour réorganiser "l'après", de nombreuses associations appelent à une grande initiative citoyenne défendant les valeurs écologistes et solidaires plus que jamais, quand il semble de plus en plus inconcevable de reconstruire à l'identique un système qui a montré toutes ses failles. À suivre.